Le petit Savoyard

À la première neige et sous un ciel sans joie,
Il s’éloignait ainsi sur les chemins de France
Avec ses dix printemps le cœur plein d’assurance,
Fredonnant sur la route un vieil air de Savoie.
C’était bien autrefois lorsque les longs hivers
Jetaient sur la montagne une chasuble blanche
Et que bêtes et gens dessous cette avalanche
Ne pouvaient faire mieux que se mettre à couvert.
Trop nombreuses étaient les bouches à nourrir...
Et sans autre moyen pour gagner quelques liards
Que d’être ramoneur, le petit Savoyard
Allait jusqu’à Paris les cheminées gravir.
Tout au long du voyage, il marchait bravement
Ne craignant pas la pluie et évitant les chiens.
Et quand on lui donnait quelques quignons de pain,
Merci ! Dieu avec vous ! Disait-il gentiment.
Il arriva le soir ; la Porte d’Italie
Ou la rue Mouffetard lui tinrent lieu d’auberge
Sous un porche couché à l’insu du concierge,
Un bec de gaz au lieu d’étoiles pour la nuit.
Le long des boulevards « Voilà le ramona » !
C’est ainsi qu’il s’annonce aux bourgeois de Paris.
Et bientôt le voici grimpant dans les conduits
S’arrêtant quand sa tête au sommet dépassa.
Comme ça, tous les jours de bas en haut ou bien
Encor de haut en bas, du matin jusqu’au soir
De gratter, de racler, il ne peut pas surseoir
Veillant à l’incendie en ce grand va-et-vient
Un soir au lieu d’aller rejoindre sa paillasse
Attiré par le son de joyeux carillons,
Il arrive à l’église où de grands tourbillons
Au doux parfum d’encens montent vers la rosace.
Car c’est Noël ce soir, il l’avait oublié,
Mais autour de la crèche et comme un brin d’espoir
Entre une brebis blanche et un très beau roi noir
L’enfant trouve une place auprès du Nouveau-Né.
Vers l’alpe tant aimée et ses monts qu’il adore
Léger comme l’oiseau, son petit cœur s’envole,
Tout en haut de l’alpage, un mouton cabriole
Et bercé par son rêve à la crèche, il s’endort.
Il y eut d’autres nuits et beaucoup d’autres jours
Quand la belle saison le vit enfin reprendre
Les chemins de Savoie où il veut tant se rendre
Et revoir la maison berceau de son amour.
Bientôt des lieux aimés, il reconnaît le ciel,
Lors avec plus d’ardeur à grands pas, il avance.
Vers l’enfant du pays, l’astre du jour se penche
Et l’ayant reconnu joyeusement l’appelle.
C’est à la fin du jour qu’au détour du sentier,
Un filet de fumée entre le ciel rougi
Au travers du carreau la tremblante bougie
Raniment les élans de son corps tout entier.
Dans le cœur d’une mère, il n’est jamais trop tard
Celle qui l’attendait a reconnu l’enfant,
Et de la vieille porte elle ouvre le battant
Dans ses bras, se blottit le petit Savoyard…
Alain Bernard
18 juin 2021